La morale se vit
Luc Châtel n'en manque pas une. Il vient de se prononcer pour une réintroduction de l'apprentissage de la morale à l'école, sous forme de débats philosophiques ou de petites leçons quotidiennes. Cela doit faire longtemps qu'il n'a pas mis les pieds dans une école car l'apprentissage de la morale se fait à chaque minute. Le simple fait de venir en classe, de s'asseoir, d'étudier est un acte moral fondamental. Cette action permet la socialisation, les échanges et la construction personnelle de chacun en fonction des autres. L'apprentissage des règles de la morale se situe dans le cadre d'un contrat entre les enseignants et leurs élèves. L'apprentissage de la morale est une ineptie si la relation entre l'enfant et l'enseignant n'est pas une relation morale, mais une relation de supérieur à subordonné qui doit obéir sans que le sens des choses soit profondément explicité. La vie d'une classe montre toute la diversité des actes moraux sans qu'il y ait besoin d'en rajouter, ou alors peut-être pour féliciter ceux qui aident les autres, ceux qui prêtent le du matériel, ceux qui proposent des idées pour améliorer la vie collective, ceux qui écrivent à leur petit camarade malade, ceux qui portent le cartable du copain ou de la copine qui a des béquilles, ceux qui notent le cours pour le voisin qui a le bras dans le plâtre ou encore ceux qui s'excusent d'avoir frappé un autre en lui offrant des bonbons. L’acte de contrition d’un élève après un geste violent relève de la morale suprême qui s’éloigne du gnan gnan proposé habituellement par l’Education Nationale. La notion de morale peut-être aussi abordée lors de diverses lectures en commentant l'action de tel ou tel personnage et les conséquences de cette action. La morale est aussi volatile que l'air, elle est une substance qui imprègne toutes les activités scolaires. C'est par l'apprentissage des mathématiques, du français, des sciences, de l'histoire, de l'art ou de la géographie que l'enfant se construira une base culturelle suffisante avec des référents précis. L’école du sport et de ses règles relève totalement du sujet. Toute cette connaissance lui permettra de bâtir lui-même la base d'une morale propre et collective. Lui inculquer cette base par une espèce de tautologie consistant à lui faire répéter par cœur des règles artificielles est voué à l'échec. Bref la vie de l'école, c'est l'apprentissage des valeurs basées sur la solidarité et le partage. La vie de l'école et la construction d'une micro société dont la pierre angulaire est justement la morale qui est aux antipodes de celle dont Luc Châtel et ses amis sont les garants.
La finalité de la morale
Il faut d'abord définir la notion de morale. La morale est d'essence religieuse, elle découle d'un impératif subi d'origine divine ou d'origine sociale. Lorsque l'on parle de morale d'origine sociale, on parle surtout d'instruction civique, des règles du « vivre ensemble » bref d'une sorte de morale laïque. Si cette morale est ressentie comme une contrainte et non pas voulue par les élèves, elle sera contre-productive car elle cachera le véritable enjeu qui consiste à faire d'un enfant le propre créateur de ses valeurs. Bien entendu, il faut un cadre d'apprentissage mais il ne doit pas se résumer à une espèce de caserne dont la fonction ultime serait de faire son lit au carré 20 fois de suite sans que se pose une seule fois la question essentielle suivante : à quoi ça sert ? Dans la sphère militaire, il s'agit d'endoctriner les soldats afin qu'ils obéissent à n'importe quel ordre sans réfléchir. Il est évident que le but de l'école s'inscrit dans une logique complètement opposée. Cependant, l'école, n'est-elle pas devenue ce lieu de formatage des esprits, cette machine à trier, une sorte de petite caserne où il y aurait les bons soldats et les mauvais soldats ? Si le discours de Luc Châtel encourage pernicieusement les discriminations actuelles en fonction des besoins économiques, de par le processus qui s'ingénue à faire de nos enfants des petits moutons, alors cette morale est fallacieuse.
La morale est relative
La notion de morale est fluctuante selon les époques et elle doit s'adapter au moment présent. Elle doit prendre en compte la réalité actuelle du monde. Elle ne peut donc être enseignée sous forme de maximes aussi générales que désuètes. La morale est une discipline de l'action qui vise à analyser une situation venant de se produire et de faire comprendre aux élèves les conséquences néfastes de leurs actes, par rapport à eux-mêmes et par rapport à la collectivité. La morale concerne l’empirique à postériori et jamais l’hypothèse à priori. Elle ne peut absolument pas être enfermée dans une coquille désespérément vide de sens. Sans une définition précise de ce qu'est la morale actuelle, cet enseignement sera aussi utile que celui qui consiste à apprendre lire à un chien. La relativité de la notion de morale est une problématique philosophique qu'un ministre de l'éducation nationale ne peut appréhender en une seule formule, une seule instruction. La véritable morale est celle qui va apprendre aux élèves que la le bonheur n'est pas forcément corrélatif à l'argent, c'est celle qui va enseigner aux enfants la méfiance vis-à-vis du crédit trop facile, c'est celle qui encouragera l'élève, ce futur adulte, à être responsable de sa vie, de ses choix et pas obligatoirement un consommateur. Si la morale de Luc Châtel consiste à rendre les enfants dociles afin de se soumettre plus facilement aux lois établies par ses amis, alors, Luc Châtel est profondément immoral.
Que les moralisateurs donnent l'exemple
Qu'y a-t-il de plus immoral que de détruire chaque année les fondations de la collectivité, à savoir les services publics au nom du profit dissimulé sous le masque de la rigueur ? Et c'est là qu'il faut faire attention car si nous inculquons les véritables notions de morale à nos élèves, afin qu'ils deviennent de véritables être humains, digne de ce nom, alors ils construiront le Nouveau Monde et ils expurgeront tous les vieux croûtons moralisateurs, profs y compris, et autres tenanciers de l'ancien monde. Le terme principal de la circulaire du ministre encourage la connaissance du "Bien" et du "Mal", ce à quoi les enseigants pourraient lui répondre qu'il envoie sa missive à l'évéché. Les enseignants feront partie du Nouveau Monde s'ils n'ont pas inculqué les notions de morale à leurs élèves à coups de marteau mais s'ils ont établi un contrat moral, un contrat basé sur la considération et la valeur de chacun. Socrate enseignait la véritable morale à ses disciples et la cité d'Athènes s'en est mordu les doigts. En rapport, avec Socrate, le trouble obsessionnel compulsif de Platon qui a passé sa vie en emmerder les autres pour leur inculquer l'Idée du Bien tient de la même rengaine que celle la circulaire de Luc Châtel. On sent d'ici la naphtaline des rombière du 16° à la sortie de la messe de Notre-Dame dont la mission est de sauver le sauvageon impie des flammes de l'enfer.
Et quelle insulte de la part d'un ministre vis à vis des véritables problèmes de société qui envahissent l'école au quotidien que de gérer les problèmes avec ce genre de propositions simplistes ! Les vraies valeurs sont incompatibles avec celles d'un ministre qui appartient à un gouvernement dont la moitié des membres ont déjà du démissionner pour non-respect des lois édictées par la république et mépris des règles de la morale la plus élémentaire.