La fédération de l’Éducation, de la Recherche et de la Culture (FERC CGT) a adressé à François Hollande une lettre ouverte, jeudi 24 mai 2012, qui porte ce projet éducatif ambitieux de la CGT d’un accès au monde de la connaissance qui s’étend de la maternelle aux études supérieures. Projet qui doit prendre aussi en considération l’éducation populaire, la formation professionnelle, la recherche publique et la culture.
Montreuil, le 23 mai 2012
Monsieur François HOLLANDE
Président de la République
Palais de l’Elysée
75008 PARIS
Monsieur le Président,
Le 15 mai dernier, rendant hommage à Jules Ferry, vous avez réaffirmé la place centrale de l'Ecole, facteur d'émancipation mais aussi d'égalité républicaine, en insistant notamment sur l'égalité des droits de chacun qui doit conduire à l'intégration de tous... Ces premiers mots étaient nécessaires et, pour notre organisation, répondent à la politique d'exclusion dans laquelle le gouvernement précédent s’est déshonoré en conduisant une chasse aux enfants sans papiers, en les condamnant à l'expulsion. La circulaire Guéant qui s'applique aux étudiants étrangers a d’ailleurs participé de la même logique et est tout aussi déshonorante. Pour la FERC CGT, l'accès au monde de la connaissance ne s'arrête pas à l'Ecole et si un projet éducatif ambitieux pour notre pays doit s’étendre de la maternelle aux études supérieures, il se doit de prendre en considération l’Education Populaire, la Formation Professionnelle et la Recherche Publique et bien évidemment la Culture. Ces services publics, qui par essence ne peuvent être soumis à des critères de rentabilité et de concurrence doivent être développés et promus dans notre société. Ils représentent un investissement pour l‘avenir. Ignorer ce précepte conduit à créer un coût social, inscrit dans le futur, bien plus conséquent que les « économies » réalisées en supprimant des emplois au motif de réduire la dette publique. Cet investissement doit porter sur des moyens humains et financiers, sur la formation des personnels et sur la recherche pédagogique. Ces trois axes sont indissociables. Ils doivent conjuguer l’intérêt individuel avec l’intérêt collectif de la Nation.
Egalité, mixité, laïcité, instruction, apprentissage de la citoyenneté : principes vivants
Ces principes sont une vision de l’Ecole que nous partageons avec vous. Mais pour que l’Ecole de la République porte ces valeurs, il est impératif de revenir sur certaines contre-réformes qui les ont mises à mal. La maternelle, exception française et facteur de sociabilisation, doit retrouver sa place et doit permettre d’accueillir l’ensemble des enfants de 3 ans et ceux de 2 ans dont les familles le souhaitent. La « réussite éducative » passe par un socle commun redéfini : « smic éducatif » dans sa conception actuelle, il doit au contraire garantir une formation de haut niveau, dans sa plus large acceptation éducative et culturelle, à l’ensemble des élèves. La « réussite éducative » doit s’accompagner de la mise en place de dispositifs spécifiques distincts en faveur des territoires délaissés. La mixité scolaire doit être réaffirmée : cela passe par une refondation de la carte scolaire mais aussi une politique de la ville et de l’aménagement du territoire repensée globalement. La mixité scolaire ne passera que par la mixité sociale. La « réussite éducative » c’est aussi l’égalité de traitement des trois voies de formation au lycée : générale, technologique et professionnelle. Toutes doivent rester dans le giron de l’Education Nationale. La revalorisation de la voie professionnelle est un axe important d’un projet éducatif ambitieux. Elle doit s’accompagner d’un service public d’orientation efficient, véritable outil d’aide à la promotion sociale qui tienne compte des aspirations individuelles, permettant à chacun d’aller aussi loin qu’il le souhaite. L’orientation ne doit plus se faire par défaut et ne doit pas intervenir trop tôt dans la scolarité.
Des moyens d’être fidèle à sa vocation
Pour que réussisse un projet éducatif ambitieux, il est impératif que les personnels qui s’y emploient soient soutenus par l’Etat. Cela passe par une reconnaissance statutaire du travail collectif et par la prise en compte de leurs nouvelles missions. Pour la FERC CGT, le maintien et l’amélioration du statut général de la fonction publique, tout comme la revalorisation de la carrière des personnels de la communauté éducative sont des points fondamentaux qu’il faut améliorer. Aujourd’hui, l’attractivité du métier d’enseignant est plus que mise à mal comme le prouve le fait que dans cinq disciplines le nombre de candidats aux concours soit inférieur au nombre de postes à pourvoir. Il faut une réelle revalorisation du métier qui passe par une meilleure rémunération mais aussi par une formation initiale de qualité. Nous approuvons votre volonté de recréer une véritable formation des maîtres. Elle ne se fera qu’en revenant à un double axiome : allègement du temps des stagiaires devant des classes et formation pédagogique. Mais la formation doit se poursuivre tout au long de la carrière des personnels. Le droit à la formation continue doit être reconnu et renforcé. Ainsi le DIF doit permettre d'accéder à des qualifications supplémentaires en lien ou pas avec le métier d'origine. Si des personnels correctement formés sont une absolue nécessité, il est tout aussi impératif qu’ils soient en nombre suffisant. Le dogme de la suppression « d’un fonctionnaire sur deux » a fortement déstructuré le monde de l’éducation. Les 60 000 emplois que vous avez promis ne seront qu’un minimum pour assurer le bon fonctionnement du système éducatif. Il est nécessaire d’opter pour un recrutement d’emplois statutaires à hauteur de besoins pour réaliser l’Ecole de la réussite de tous.
L'enseignement supérieur et la recherche
Indissociables, l'Enseignement Supérieur et la Recherche produisent le socle de connaissances nécessaires aux progrès humains et les qualifications supérieures dont le pays a besoin pour garantir son avenir. Ils doivent donc répondre aux besoins de l’ensemble de la population, au développement social et économique du pays. Dans le contexte de la mise en œuvre de la Stratégie de Lisbonne ces secteurs ont connu de nombreuses mutations : Pacte pour la Recherche en 2005, loi Libertés et Responsabilités des Universités (LRU) en 2007, Stratégie Nationale de Recherche et d’Innovation (SNRI) en 2009. Ces textes trouvent leur prolongement dans la mise en place des Alliances et Consortium ainsi que dans la réorganisation régionale de l'enseignement supérieur et de la recherche autour d'une dizaine de grands pôles dits « d'excellence », qui concentrent l’essentiel des moyens. Pour notre organisation, elles remettent en cause la conservation du caractère national des diplômes mais surtout l’égalité d’accès aux formations de l’enseignement supérieur pour tous les bacheliers et sur tout le territoire. Elles mettent en œuvre un dispositif d’orientation sélective voire une sélection sociale qui portent atteinte à la gratuité de l’Enseignement Supérieur, garantie d’une égalité d’accès du plus grand nombre. De même, elles nuisent au développement d’une recherche publique (fondamentale ou finalisée) non lucrative dans des organismes nationaux de recherche, une recherche qui doit contribuer au développement des connaissances et répondre aux besoins de toute la population, contre la pression des intérêts privés. Dès lors, c'est d'une politique nationale accompagnée de financements pérennes dont nous avons besoin dans ces champs de la connaissance. Le troisième acte de la décentralisation ne pourrait se satisfaire de revenir sur la seule gouvernance des Universités et de déboucher sur leur régionalisation, ce sont la LRU et le Pacte pour la Recherche qui doivent être abrogés.
Education populaire, une autre démarche pour devenir citoyen
Nous sommes satisfaits que l’Education Populaire prenne sa place au sein d’un nouveau ministère. Il ne vous aura pas échappé que le monde associatif souffre, que de nombreux employeurs se comportent comme des patrons « voyous » et que les conditions de travail des salariés se sont fortement dégradées. Ainsi le montrent les luttes au sein de la Fédération Française des MJC, mais aussi d'Actisce à Paris. Les récentes politiques publiques conduisent les associations à se transformer en « simples opérateurs » les contraignant à développer un activisme qui relève plus de la consommation sociale ou culturelle que de l’Education Populaire même s’il est vrai que bon nombre d’associations et de fédérations d’Education Populaire ont, d’elles‐mêmes, choisi d’emprunter le chemin de l’adaptation et de la marchandisation. Ceci conduit à la mise en concurrence des associations d’Education Populaire, concurrence qui porte de moins en moins sur des options idéologiques, mais sur la conquête de nouveaux publics, sur l’attribution de nouveaux marchés. Pourtant, dans un contexte de déstructuration de la société et de perte de repères structurants, l’éducation populaire constitue une réponse moderne et adaptée aux défis du vivre et faire ensemble. Les formes d’engagement et de prise de responsabilité que continuent de promouvoir, au travers la loi de 1901, les associations d’Education Populaire, font preuve quotidiennement de leur pertinence. Il faut donc que l’Etat leur apporte un réel soutien et aide à leur développement dans le respect de leurs principes fondateurs.
Education, émancipation mais aussi accès à l'emploi.
Les propos tenus pendant la campagne et les prises de positions de certains de vos soutiens laissent entendre que vous souhaitez mettre un terme à la casse des organismes publics de formation professionnelle. Le démantèlement de l’AFPA, la restructuration du CNAM, la transformation à marche forcée des GRETA en GIP doivent cesser. Notre organisation revendique la création d’un grand service public de la Formation Professionnelle, de la Qualification, de la Certification et de l’Orientation piloté par l’Etat. Il se structurerait à partir de la mise en place dans chaque région, à travers des partenariats et en complémentarité de l’offre de formation de l’ensemble de ces organismes de service public, de plates-formes de service public régional de la formation tout au long de la vie, incluant l’orientation et fondées sur l’accessibilité, l’égalité, la gratuité, la pérennité et la transparence. Ce service répondrait aux besoins exprimés par les usagers en maximisant l’accompagnement, en développant l’offre de formation qualifiante, la validation de l’expérience et l’accès à un emploi qualifié durable. Il dépasserait les « jeux de concurrence » face aux instances chargées des politiques d’emploi et de formation professionnelle, n’enlevant rien aux Conseil Régionaux mais obligeant les décideurs à s’entendre en amont, plutôt qu’à laisser les organismes publics devenir des enjeux électoraux tout en étant placés dans un champ concurrentiel.
Pour une politique publique de la Culture
L’éducation et la connaissance nécessitent une politique ambitieuse pour la Culture. L’Etat doit être un opérateur culturel au service de tous. Il est essentiel de réinstaurer un service public de la culture résolument consacré à l’émergence d’une société de progrès, émancipée, rassemblée, plus juste et plus démocratique. En effet, ce ministère, à l’instar de l’ensemble des services publics, sort fortement affaibli de ces cinq années de RGPP. Pour relancer son développement, ce sont de réels efforts budgétaires avec un financement public au‐delà du « mythique » 1% du budget de l’Etat, l’arrêt de la RGPP, le soutien aux initiatives publiques et la mutualisation des moyens budgétaires des musées nationaux qui doivent être mis en place. C’est aussi stopper l’externalisation de certaines missions à des structures de droit privé et en réintégrant celles qui l’on déjà été. Pour notre organisation il faut renforcer les liens entre les politiques éducatives et culturelles.
« Aux professeurs des écoles, aux enseignants du secondaires, aux universitaires, aux chercheurs, à tous les agents […] qui ont fait le choix de servir la connaissance et d’éveiller les consciences […] vous êtes au service de la France »
Pour que l’ensemble des personnels sentent leurs missions confortées, il est nécessaire que leurs métiers soient revalorisés. Conditions de travail dégradées, précarité, mépris, harcèlement, stress au travail et maladies professionnelles sont devenus monnaie courante dans les services publics. Une véritable politique de management a été mise en place pour rendre « rentables » des secteurs qui n’ont pas vocation à l’être. Discriminations, stigmatisations, n’ont pas cessé durant le dernier quinquennat. Au‐delà de l’égalité femme homme, il est essentiel de lutter contre l’ensemble des discriminations, qu’elles touchent les personnels ou les usagers. La précarité qui touche de nombreux secteurs doit cesser. Les personnels doivent être recrutés sur les emplois statutaires ou en CDI et les personnels précaires doivent être titularisés ou cédéisés. Les ministères concernés ne doivent pas entraver le processus engagé. Dans tous les secteurs, il est impératif d’alléger les charges de travail des personnels, de reconnaître l’ensemble de leurs missions mais aussi d’améliorer leurs conditions de travail en mettant en place une véritable politique de « santé au travail ». La perte de pouvoir d’achat dans ces secteurs a dépassé plus de 10% depuis 2000, notamment avec le gel du point d’indice. La revalorisation des métiers et des missions de service public doit aussi passer par une forte revalorisation salariale. Monsieur le Président, vos propos, ceux tenus par les membres du gouvernement conduit par Jean‐Marc Ayrault éclaircissent l'avenir pour que tous bénéficient de l'accès au monde de la connaissance. Nous resterons, malgré tout, vigilants et attentifs à l’ensemble des actions que vous conduirez dans ces domaines tout au long de l’exercice de votre mandat.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de notre considération distinguée.
Richard BERAUD
Secrétaire Général